La complainte de la plainte sur CD-Rom.

Alain Xicluna tente d'obtenir de la justice qu'elle lise son dossier sur ordinateur.

par Renaud Lecadre

publié le 28 septembre 1999 à 0h54

Peut-on porter plainte par CD-Rom interposé? Ou à travers un site

 

Internet? Ou plutôt, compte tenu de la complexité de certaines entourloupes, faut-il désormais porter plainte sur CD-Rom? La chambre d'accusation de Paris doit répondre demain à cette série de questions. Alain Xicluna, l'homme par qui l'interrogation est arrivée, n'était à l'origine ni juriste, ni spécialement internaute. Mais simplement victime des tribunaux de commerce, ces machines à capter les entreprises sous un embrouillamini de procédures judiciaires. Comme la plupart des victimes du genre, Alain Xicluna se baladait avec ses tonnes de documents, pas moins de trois valises sous les bras, de quoi décourager la bonne volonté des quelques gendarmes qui acceptaient d'écouter ses doléances.

 

De fait, son histoire est du genre complexe. Ce Montpelliérain avait monté en 1987 une société de location de matériel d'échographie, Echosynthèse, dont la particularité est d'être fragile à court terme mais très profitable à long terme. On ne lui a pas laissé le temps d'en profiter: en janvier 1994, le tribunal de commerce de Narbonne l'a privé de son entreprise dans des conditions suspectes. Pour 600 000 F, les repreneurs ont mis la main sur un outil qui devait leur rapporter 11 millions, sans même avoir respecté leur engagement de réengager tous les salariés. En février 1997, le procureur de Narbonne décide de classer une première plainte déposée par Alain Xicluna. Au prétexte pratique qu'il n'y avait pas de constitution de partie civile.

 

Vengeance. Peu de temps après, Alain Xicluna s'est retrouvé à poil sur une plage. Il venait de récupérer son bateau saisi par les huissiers, mais avec un trou dedans. Le bateau a donc coulé en mer et un de ses amis avec. Après avoir regagné le rivage à la nage, Alain Xicluna a failli embrasser la carrière de terroriste. Sagement, il a finalement opté pour une inscription à la faculté de droit de Montpellier, puis s'est fait internaute. Sa vengeance sera juridico-cybernétique, elle commence par un premier site web dédié aux crapuleries des tribunaux de commerce (1), puis à sa propre histoire (2). Son récit, intitulé «Le tango des crocodiles», est sous forme hypertexte: l'histoire est romancée, certes, mais il suffit de cliquer dans des mots-clés pour obtenir l'une des 170 pièces judiciaires de son dossier. Le dossier d'Alain Xicluna est enfin compréhensible. «C'est une toile tendue sur les pièces», dit-il. Le tout est également gravé sur CD-Rom.

 

En mars 1999, Alain Xicluna revient à la charge et porte une cyberplainte à Paris: une lettre succincte envoyée au parquet qui renvoie à son site Internet et au CD-Rom. Au policier qui recueille sa déposition, il se dit «prêt à fournir le matériel nécessaire à la lecture du CD-Rom» et à former les enquêteurs. Las! Le juge d'instruction désigné, Xavière Simeoni, a rendu en mai une ordonnance de refus d'informer au motif qu'il s'agirait d'une «oeuvre littéraire». Alain Xicluna est à deux doigts de péter les plombs, mais son avocat commis tardivement d'office, Me Jean Duval, tente malgré tout de sauver l'esprit de sa démarche: dans sa requête devant la chambre d'accusation ­ afin d'obtenir enfin l'ouverture d'une information judiciaire ­, à côté de longues conclusions écrites dans le plus pur style juridique, il a annexé le CD-Rom. «Choses incroyables». «Les magistrats auront le choix entre consulter le CD-Rom et se taper le paquet écrit, souligne le jeune avocat. C'est une première, mais j'ai envie de leur donner l'appétit pour s'intéresser enfin à l'affaire d'Alain Xicluna: quand on arrive à rentrer dedans, on découvre dans son dossier des choses incroyables.» En cas de refus de la chambre d'accusation, il se promet de déposer une nouvelle plainte, sur papier cette fois, pour qu'enfin la justice se penche sur le fonctionnement du tribunal de commerce de Narbonne. Mais ce serait dommage: les lecteurs CD-Rom dont est équipé le nouveau pôle financier parisien resteraient sous-employés. Alain Xicluna, lui, est encore prêt à croire à la justice: web ou pas, «la loi, le droit, sont faits pour éviter que les gens ne se suicident ou ne tuent des gens».

 

(1) www.tribunal-de-commerce.com (2) www.tango-crocodiles.com